l'univers de fernand greco ............... madeleine rambaud
L’univers de Fernand GRECO.
A l’arrivée dans ce que Fernand Greco nomme son antre,
composé d’un garage-atelier, d’une maison et d’un jardin,
l’accueil est étrange et chaleureux, empressé et froid, drôle et inquiétant.
Un nid d’oxymores : de contraires que le rapprochement renforce.
Ainsi l’ascèse et la profusion.
La profusion, ici, est frappante : c’est un foisonnement d’objets naturels
ou artisanaux, bout à bout, hérissés, parallèles, enchevêtrés, transformés.
On pourrait dire de la « récup », si ce n’était de l’art.
Tout est récupérable, semble-t-il : prises de courants, boîtes à lettres, ressorts, serrures, instruments de musiques, pioches, aux prises avec les pommes du pin et les rames du cotonéaster.
S’y mêle et s’y oppose une constante : la pureté ascétique.
Dans le jardin se répondent l’architecture et la sculpture dans leur sobriété. L’architecture avec ses transparences de verre insérées à nu dans la pierre.
A l’intérieur de la maison, les sculptures et leur propre pureté, avec, sur le seuil, des corps et des visages qui vous invitent à entrer ou défendent la demeure contre quelque démon.
Vivante et sereine, la nature offre aux deux arts sa générosité et sa dévoration, dans ce jardin où gravite une humanité diverse. Des tiges humaines grimpent dans un pin. Un attroupement d’hommes-métalliques évoque nos propres « conciliabules », dénonce avec un certain humour nos vanités. D’étiques formes humaines jouent les hamadryades, censées naître et mourir avec leurs arbres. Un homme filiforme s’avance genoux pliés, mains crochues, il- va-vers…peu importe vers quoi ; sa maigreur suggère la souffrance, mais il continue, survit, seul, impressionnant. On pense à La Route. Pourtant moins désespérante, la vie l’entoure, les arbres, l’humanité. Mortel, il en est un chaînon.
Car l’émotion habite ce monde aussi réaliste que fantastique.
Le plus grouillant est aussi le plus rouillé : l’atelier-garage expose son rouge ferrugineux, couleur du temps passé, sur le vert renaissant du jardin.
On est saisi par l’explosion d’énergie qui s’en dégage.
De l’œuvre interminable du temps fuse la tension de la jeunesse. Issue des éléments, la rouille, cette matière favorite du sculpteur, exalte la force du brut et l’authenticité de l’émotion.
Car celui qui se ressent « adulescent » avoue qu’il doit éprouver une émotion devant un matériau ou un contexte, pour en rechercher l’expression sculpturale : ainsi Paros, la Grèce et ses mythes devant le marbre, ainsi l’émoi devant le geste sportif, le trouble devant la littérature, ou dans l’art chez ses congénères, ainsi la révolte devant le malheur humain, la générosité et l’amour par empathie avec lui.
Le désordre de sa création boulimique va jusqu’à l’incapacité de trois stylites chacun attaché sur l’étroitesse de sa colonne et l’étouffement de l’homme ligoté dans la trompette qu’il bouche de son corps entier. Trop d’idées, trop de thèmes, trop de désirs, que Fernand Greco, insatiable de découvertes, d’activités et de créations, engrange en tous lieux, un capharnaüm auquel consent volontiers son humour. N’est-ce pas que ses créatures s’effilent sous son scalpel de sculpteur, sa masse de chirurgien, son burin de musicien, et tendent vers les multiples possibles de la création ?
Car cet homme double, triple, multiple dans ses désirs et ses passions, se montre, nous montre, nous tous, les hommes, bardés de tant de possibilités rayonnantes, qu’il se projette vers l’unicité. Témoin cet homme « Création » que j’avais pris pour un homme araignée et qui étire une infinité de tentacules en tous sens et les arrondit en sphère comme la terre ou le cosmos. Comme Dieu, dont le centre est partout et la circonférence nulle part, dirait Pascal.
De l’univers de Fernand Greco, on sort troublé, proche et plus intelligent peut-être. On y a côtoyé une vie intense, émouvante et poétique, un regard sans leurre, avec l’angoisse de l’humanité frustrée, avec la joie de l’énergie et la compensation de l’humour qui biaise la souffrance.
Nous nous sentons témoins utiles et questionneurs, réveillés dans notre conception de l’art.
L‘œuvre de F. Greco nous fait réfléchir à la grande question du XXe siècle qui ne date pas d’hier et suit son chemin :ne pourrait-on dire que tout est, dans l’art, « récupération », l’homme ne créant pas ex nihilo, y compris dans l’art abstrait, l’art conceptuel, événementiel, et cela depuis l’art rupestre des origines ?
Le plus impressionnant dans cet univers, c’est ce qui me semble l’habiter. Même fixes, ces êtres conversent avec quoi, convergent vers quoi ? l’autre, eux-mêmes, l’extérieur, l’au-delà ?
Chaque élément créé par l’artiste parmi ces êtres figés, en équilibre ou le recherchant, tournés ou penchés vers…, s’adresse à quel regard ? Pas plus que chacun de nous, il ne sait ce qu’il cherche.
Ce ne sont pas ses yeux qui regardent. Il n’en a pas. C’est tout le corps qui tend vers le mystère. Un Godot triste et grotesque. Un Godot qu’il est lui-même ou qu’il cherche ailleurs. Et l’on peut en rire comme on peut en pleurer.
Madeleine Rambaud
A l’arrivée dans ce que Fernand Greco nomme son antre,
composé d’un garage-atelier, d’une maison et d’un jardin,
l’accueil est étrange et chaleureux, empressé et froid, drôle et inquiétant.
Un nid d’oxymores : de contraires que le rapprochement renforce.
Ainsi l’ascèse et la profusion.
La profusion, ici, est frappante : c’est un foisonnement d’objets naturels
ou artisanaux, bout à bout, hérissés, parallèles, enchevêtrés, transformés.
On pourrait dire de la « récup », si ce n’était de l’art.
Tout est récupérable, semble-t-il : prises de courants, boîtes à lettres, ressorts, serrures, instruments de musiques, pioches, aux prises avec les pommes du pin et les rames du cotonéaster.
S’y mêle et s’y oppose une constante : la pureté ascétique.
Dans le jardin se répondent l’architecture et la sculpture dans leur sobriété. L’architecture avec ses transparences de verre insérées à nu dans la pierre.
A l’intérieur de la maison, les sculptures et leur propre pureté, avec, sur le seuil, des corps et des visages qui vous invitent à entrer ou défendent la demeure contre quelque démon.
Vivante et sereine, la nature offre aux deux arts sa générosité et sa dévoration, dans ce jardin où gravite une humanité diverse. Des tiges humaines grimpent dans un pin. Un attroupement d’hommes-métalliques évoque nos propres « conciliabules », dénonce avec un certain humour nos vanités. D’étiques formes humaines jouent les hamadryades, censées naître et mourir avec leurs arbres. Un homme filiforme s’avance genoux pliés, mains crochues, il- va-vers…peu importe vers quoi ; sa maigreur suggère la souffrance, mais il continue, survit, seul, impressionnant. On pense à La Route. Pourtant moins désespérante, la vie l’entoure, les arbres, l’humanité. Mortel, il en est un chaînon.
Car l’émotion habite ce monde aussi réaliste que fantastique.
Le plus grouillant est aussi le plus rouillé : l’atelier-garage expose son rouge ferrugineux, couleur du temps passé, sur le vert renaissant du jardin.
On est saisi par l’explosion d’énergie qui s’en dégage.
De l’œuvre interminable du temps fuse la tension de la jeunesse. Issue des éléments, la rouille, cette matière favorite du sculpteur, exalte la force du brut et l’authenticité de l’émotion.
Car celui qui se ressent « adulescent » avoue qu’il doit éprouver une émotion devant un matériau ou un contexte, pour en rechercher l’expression sculpturale : ainsi Paros, la Grèce et ses mythes devant le marbre, ainsi l’émoi devant le geste sportif, le trouble devant la littérature, ou dans l’art chez ses congénères, ainsi la révolte devant le malheur humain, la générosité et l’amour par empathie avec lui.
Le désordre de sa création boulimique va jusqu’à l’incapacité de trois stylites chacun attaché sur l’étroitesse de sa colonne et l’étouffement de l’homme ligoté dans la trompette qu’il bouche de son corps entier. Trop d’idées, trop de thèmes, trop de désirs, que Fernand Greco, insatiable de découvertes, d’activités et de créations, engrange en tous lieux, un capharnaüm auquel consent volontiers son humour. N’est-ce pas que ses créatures s’effilent sous son scalpel de sculpteur, sa masse de chirurgien, son burin de musicien, et tendent vers les multiples possibles de la création ?
Car cet homme double, triple, multiple dans ses désirs et ses passions, se montre, nous montre, nous tous, les hommes, bardés de tant de possibilités rayonnantes, qu’il se projette vers l’unicité. Témoin cet homme « Création » que j’avais pris pour un homme araignée et qui étire une infinité de tentacules en tous sens et les arrondit en sphère comme la terre ou le cosmos. Comme Dieu, dont le centre est partout et la circonférence nulle part, dirait Pascal.
De l’univers de Fernand Greco, on sort troublé, proche et plus intelligent peut-être. On y a côtoyé une vie intense, émouvante et poétique, un regard sans leurre, avec l’angoisse de l’humanité frustrée, avec la joie de l’énergie et la compensation de l’humour qui biaise la souffrance.
Nous nous sentons témoins utiles et questionneurs, réveillés dans notre conception de l’art.
L‘œuvre de F. Greco nous fait réfléchir à la grande question du XXe siècle qui ne date pas d’hier et suit son chemin :ne pourrait-on dire que tout est, dans l’art, « récupération », l’homme ne créant pas ex nihilo, y compris dans l’art abstrait, l’art conceptuel, événementiel, et cela depuis l’art rupestre des origines ?
Le plus impressionnant dans cet univers, c’est ce qui me semble l’habiter. Même fixes, ces êtres conversent avec quoi, convergent vers quoi ? l’autre, eux-mêmes, l’extérieur, l’au-delà ?
Chaque élément créé par l’artiste parmi ces êtres figés, en équilibre ou le recherchant, tournés ou penchés vers…, s’adresse à quel regard ? Pas plus que chacun de nous, il ne sait ce qu’il cherche.
Ce ne sont pas ses yeux qui regardent. Il n’en a pas. C’est tout le corps qui tend vers le mystère. Un Godot triste et grotesque. Un Godot qu’il est lui-même ou qu’il cherche ailleurs. Et l’on peut en rire comme on peut en pleurer.
Madeleine Rambaud